Thierry Thieû Niang : danser comme... pour consoler

Ajouté le 02 juil. 2020, par Florence Batisse-Pichet
Thierry Thieû Niang : danser comme... pour consoler

Plus que danseur ou même chorégraphe, Thierry Thieû Niang se qualifie d’artisan.
Plus que danseur ou même chorégraphe, Thierry Thieû Niang se qualifie d’artisan.
Plus que danseur ou même chorégraphe, Thierry Thieû Niang se qualifie d’artisan. ©Thierry Thieû Niang

Durant ce mois de juin, le danseur et chorégraphe Thierry Thieû Niang était accueilli en résidence au TNP de Villeurbanne pour la préparation du spectacle aux côtés de Valère Novarina et de Jean Bellorini « Le jeu des ombres ». Entre deux répétitions, il a accepté de revenir sur son parcours et son approche artistique.

Plus que danseur ou même chorégraphe, Thierry Thieû Niang se qualifie d’artisan. Il aime ce « travail répétitif du geste, du simple ». Dépasser le réel en sortant de l’entre soi de sa discipline fait de lui un passeur et consolateur. Apprendre la danse à d’autres corps pourrait être sa devise, sinon son acte de foi. Dans sa première vie, il est instituteur mais l’art s’impose à lui comme une évidence : « Je suis arrivé à l’art par l’éducation, et de l’art, je suis passé au soin. Le soin ce n’est pas que du médical. Je n’ai pas seulement voulu transmettre mon art mais déplacer cet apprentissage à d’autres corps, à tous les corps. Comme j’ai voulu partager mon art avec d’autres disciplines, d’autres artistes. ».

En 2003, il collabore avec Patrice Chéreau et Pierre Boulez pour la création d’un opéra De la maison des morts de Léos Janacek. On découvre son travail et on le sollicite autant à l’opéra, qu’au théâtre, que dans les écoles, collèges, les musées en France et à l’étranger. Depuis, il partage son temps entre ses ateliers en milieu hospitalier et dans les prisons, et ses projets artistiques. Il a su imposer son rythme aux administrations : « On accepte que je travaille autant dans un hôpital que dans un théâtre. Cette écoute pour changer la temporalité de la présence, m’évite la fatigue. Quand j’interviens en prison, j’ai aussi le même type d’investissement. Je ne viens pas pour quelques heures, je viens pour une journée, une semaine non-stop car c’est important de passer du temps, de donner du temps :  de dire « à demain » plutôt que dans un mois ! Je fais toujours le lien entre mes projets artistiques et mes ateliers, tout s’échange, se transforme. Et sans cesse, j’invente et je jongle entre les deux univers. Les patients, les adolescents et les prisonniers que j’accompagne, sont fiers que je passe du temps avec eux au même titre qu’avec des artistes reconnus comme Ariane Ascaride, Anne Alvaro ou Dominique Blanc... »

Le danseur-chorégraphe s’est fait connaître du grand public par son documentaire diffusé sur Arte, Blanche, une jeune fille de 90 ans de Valéria Bruni Tedeschi et Yann Coridian. C’est pendant les semaines de confinement qu’il s’est aperçu que certains de ses voisins le connaissaient à cause du film. Et comme il ne sait pas danser seul chez lui, l’impasse où se situe son immeuble, dans le XXe arrondissement, s’est rapidement transformée en studio en plein air, en scène. Ainsi il a improvisé des chorégraphies avec un arbre comme partenaire ; le ciel et les façades comme décor. Aux fenêtres, ses voisins comme public. Certains l’ont accompagné pour la musique : qui d’un accordéon ou d’un violon. Malgré la violence de la période, il avoue l’avoir vécue plutôt sereinement, presque comme une retraite, comme en jachère : « Quand je dansais en silence, c’était tôt le matin, ou en fin d’après-midi, deux fois par semaine. Ma démarche était spontanée. Ce n’était pas une danse d’échauffement pour me mettre en forme, c’était une improvisation, une conversation intérieure qui est alors devenue plus partagée, plus festive. La violence, on l’a tous vécue. On était tous dans le même bateau, tout en sachant que chacun vivait des situations différentes selon les milieux sociaux. ».

Le Festival d’Avignon devait accueillir en juillet, dans la Cour d’honneur, ce nouveau spectacle à partir du texte de Valère Novarina. Impossible à reporter, la création est maintenue, mais autrement : elle devient un film, diffusé le 22 juillet sur France 2. Dans l’immédiat, le défi n’est pas simple. Comment réussir à coordonner 20 acteurs, chanteurs, musiciens et techniciens dans le respect des gestes barrières ? Sans cesse, il faut se réinventer et voir comment les corps peuvent bouger tout en étant reliés, mais en même temps séparés. Ce casse-tête qu’il espère provisoire, il semble le gérer visiblement avec un certain calme. En revanche, on le sent davantage préoccupé par les adolescents autistes qu’il suit depuis un an. Comme d’autres artistes engagés, il ne considère pas faire du social mais agrandit ainsi son imaginaire artistique. Proche d’artistes comme Anne Teresa de Keersmaeker, Alain Platel ou encore de Madeleine Louarn qui a monté en Bretagne, une compagnie et un lieu de création assistée, avec des salles pour des artistes handicapées. Il aime toutes les danses et affirme son approche : « Je n’ai pas peur de mettre ensemble des corps anciens, handicapés, des migrants… car j’aime autant travailler avec des virtuoses et professionnels qu’avec un adolescent autiste ou Blanche de 90 ans. Les corps expriment par l’émotion et donnent des solutions concrètes au silence, au désir, à la peur. C’est à nous, artistes, de les mettre en beauté et de les transformer. » 

En qualité d’artiste invité à l’hôpital Avicenne et à la MC93 de Bobigny, il mène un travail d’accompagnement et de transmission. Parmi les blouses blanches des médecins et soignants, il ne passe pas inaperçu : sur la sienne, on peut lire « Thierry Thieû Niang, danseur » ! En mars dernier, avec le Covid-19, tout s’est arrêté du jour au lendemain. 
Une situation tragique pour les patients autistes et leurs familles : « Les psychomotriciens et éducateurs ont été réquisitionnés pour s’occuper des soignants. ». 

Dans les services de l’hôpital Avicenne, il a suivi des patients en service d’oncologie, d’autres en service antidouleurs pour aborder les douleurs fantômes… À la demande des psychologues, il a mis en place des ateliers de 2h ou plus pour des patients qui avaient besoin de partager leur vécu après une rémission. Il les voit durant un mois ou seulement une fois, selon les durées de traitement et de guérison : « Souvent, leurs proches estiment qu’ils sont guéris et qu’il faut oublier. Il en ressort un sentiment d’isolement et d’incompréhension. Beaucoup de femmes, après des cancers du sein, sentent qu’elles ont changé leur façon d’être au monde, mais leur entourage ne veut pas l’admettre. Pour ces patients qui ont besoin de trouver du geste dans ce nouveau corps, je les fais danser et c’est joyeux. ». 

Autre aspect de son approche, un accompagnement sur le long terme avec de jeunes autistes. Il s’agit souvent d’adolescents venus d’Afrique, de Chine, d’Égypte, … Dans leur culture, la psychiatrie n’est pas développée. Et d’évoquer le cas de ce jeune malien de 15 ans. « Dans la culture malienne, un handicapé a un statut particulier, il est comme un dieu vivant. Dans le déni, son père célèbre sa faiblesse. Il s’agit pour moi d’entrer dans une relation familiale et dans la culture, les religions, les croyances de ces adolescents. Quand il danse avec moi, il est regardé autrement, il n’est plus handicapé. C’est à nous de révéler cette vulnérabilité et la transformer, la partager. ». Même si pendant le confinement, il parvenait à maintenir un lien avec chacun d’eux par l’intermédiaire de la psychologue - chaque semaine, il choisissait un extrait de vidéo d’un de ses spectacles ou une chanson qu’elle leur envoyait de sa part - il ne sait pas dans quel état, il les retrouvera. 
Un an avant, il avait réussi à les faire danser ensemble dans un même espace « sans heurts, ni chaos ». Que restera-t-il de tous les efforts accomplis chez ces jeunes, après des semaines d’isolement et sans suivi possible ? Thierry va travailler, va danser avec chacun d’eux avant de les réunir à nouveau pour une danse commune !

 

Pour en savoir plus : www.thierry-niang.fr

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