Vladimir Cosma : la musique en héritage

Ajouté le 20 mars 2023, par Florence Batisse-Pichet
Vladimir Cosma : la musique en héritage

Vladimir Cosma, compositeur de musiques de films
Vladimir Cosma, compositeur de musiques de films ©Erwan Floch

Figure illustre de la composition de musique de film et reconnu dans le monde entier, Vladimir Cosma s’est imposé auprès des plus grands cinéastes français, de Yves Robert à Gérard Oury en passant par Claude Zidi, Claude Pinoteau, Francis Veber, Jean-Jacques Beinex… À 82 ans, le mélodiste et chef d’orchestre inspiré continue de vouer sa vie à la musique. À l’occasion de la parution de « Mes mémoires : du rêve à Reality » ( Plon ), nous l’avons rencontré chez lui, avant son heure de marche quotidienne.

Avez-vous été tenté par une autre voie que la musique ?

Par ma famille, j’étais condamné à être musicien : mon père était chef d’orchestre et ma grand-mère, pianiste et élève du célèbre Ferrucio Busoni. J’ai eu mon premier violon à l’âge de 4 ans, l’appartement étant trop petit pour un piano. Pendant la guerre, lorsque ma mère me demandait d’aller acheter le pain, mon père s’y opposait : je devais travailler mon instrument. J’étais fort en mathématiques mais la musique était bien plus belle et plus intéressante.

À partir de quand avez-vous eu le déclic de la composition ?

Enfant déjà, je ne voulais pas être instrumentiste mais composer de la musique. Comme le violon réduisait mon univers musical, il m’a fallu attendre qu’on déménage pour profiter des richesses harmoniques du piano. Mais parce qu’un bon thème génère toute une œuvre, je ne regrette pas d’avoir commencé par le violon : ce que l’on peut faire avec une seule note, sans aucun autre artifice d’accompagnement, est très important. 

Vous avez écrit les plus célèbres musiques de nos comédies françaises : que révèlent-elles de vous ?

Si on les écoute bien, ces musiques ne sont pas construites en majeur mais en mineur. De fait, elles dégagent une profondeur qui n’a rien de comique. Alors que ma renommée s’est faite à partir de comédies qui donnent du bonheur, je suis plutôt nostalgique. 

Au cours de votre carrière, avez-vous refusé certains projets ?

Oui, soit par manque de temps, soit parce que je ne sentais pas le sujet. Comme j’étais devenu un spécialiste de la comédie à la française - une étiquette que je ne regrette pas aujourd’hui -, je rêvais de me diversifier. Parfois, notamment après Les aventures de Rabbi Jacob, il m’est arrivé de décliner des comédies que je considérais moins « classieuses » que celles de de Gérard Oury ou Francis Veber. Par exemple, je regrette d’avoir refusé la trilogie de Robert Lamoureux, La Septième Compagnie, qui fut un grand succès. Et puis il y a eu bien sûr La Boum qui comportait beaucoup de chansons. Vu l’ampleur et l’urgence du travail, j’ai préféré décliner l’offre.

Pouvez-vous revenir sur l’épisode de La Boum que vous racontez dans vos mémoires ?

J’étais parti à Saint-Jean-Cap-Ferrat pour des demi-vacances. Je devais écrire la musique de deux films - Le coup de parapluie1  et Inspecteur La Bavure2  - lorsque je reçois un appel de la Gaumont. L’idée de faire encore un film « sur les jeunes » ne me parlait pas trop. Moi-même n’ayant jamais mis les pieds dans une boîte de nuit et ne sachant pas danser, je ne me suis pas senti très à l’aise. Alain Poiré3  ne m’a pas donné le choix : « Vladimir, vous ne pouvez pas composer chez nous que des grands films avec des vedettes ! Pour une fois, nous avons un besoin urgent de vous… » C’était presque un ordre. En deux jours, j’ai composé le thème principal pour l’une des scènes de danse tournées en playback. Ce slow est devenu l’une des musiques les plus connues au monde et cinquante ans plus tard, Reality a autant, sinon plus de succès qu’à ses débuts.

Vous avez toujours donné une place privilégiée aux instruments anciens et folkloriques…

J’ai démarré comme assistant de Michel Legrand. Quand je me suis séparé de lui et que j’ai signé mes premières musiques, je ne voulais pas qu’on dise que je faisais du « Michel Legrand ». Pour me démarquer, je souhaitais des couleurs fortes et inédites. J’ai eu l’idée de trouver un instrument spécifique qui accompagne chaque film, et pas seulement le thème principal. C’est ainsi que je suis allé puiser dans des instruments folkloriques de mon pays (flutes de pan, mandolines, cymbalum…) ou datant du Moyen-Âge (flûtes à bec, cromornes…). De même dans Un éléphant, ça trompe énormément, j’ai fait appel au bruit de la mer et des mouettes en couleur musicale, accompagnant un solo de piano, ou bien encore au chant des cigales dans La gloire de mon père.

Qu’en est-il des instruments modernes comme le piano électrique ou les synthétiseurs ?

Je m’en sers parce qu’ils ont une sonorité spécifique mais jamais pour remplacer les instruments d’un orchestre symphonique. Dans Le Jouet, j’ai imaginé une partition écrite uniquement pour des synthétiseurs, non pas pour imiter des violons ou autres instruments, mais pour suggérer le côté mécanique de cet enfant qui veut acheter un homme.

Lorsque vous recevez une commande, comment abordez-vous la collaboration ?

C’est chaque fois différent. Les cinéastes avec lesquels j’ai eu de grandes complicités me racontent leur scénario, ce qui me permet tout de suite de réfléchir. Certains viennent avec des films déjà tournés et montés. En revanche pour Le bal de Ettore Scola, ce fut un tout autre cas de figure : la musique écrite initialement par Armando Trovajoli avait été acceptée par Scola mais les distributeurs l’ont refusée, alors même que le film était pressenti pour les César. Ils ont fait appel à moi pour la remplacer, ce qui me mit dans une situation très délicate.

Comment se porte la musique de films aujourd’hui ?

Si de Lully à Sibelius, il y a eu de belles musiques originales pour le théâtre, il n’y en a plus aujourd’hui. Il se passe la même évolution pour la musique de film. Les cinéastes ont tendance à privilégier des œuvres du répertoire, connues, qui auront plus de puissance qu’une musique de film plus descriptive. Contrairement à mes confrères qui se plaignent de cette situation, liée aussi à des économies budgétaires, je pense qu’acheter les droits d’une musique préexistante, coûte plus que de commander une musique originale. Mon conseil aux jeunes : composez sans penser : « musique de film » !

Comment vous êtes-vous mis à la direction d’orchestre ?

Je ne suis pas un chef d’orchestre habituel car je ne dirige que mes propres compositions. C’est arrivé tout naturellement, au moment des premiers enregistrements. Je me suis aperçu qu’il était plus simple de diriger moi-même mes musiques, mais ce n’est pas la même chose que de diriger un concert devant le public. C’est Charles Pasqua qui m’en a donné l’occasion fin 1990, pour célébrer l’inauguration de la grande salle du Palais des Congrès à Nanterre : il voulait créer un événement avec mes musiques de films et m’avait mis à disposition l’orchestre symphonique d’Ile-de-France. Comme je n'avais pas un répertoire adapté pour un grand orchestre, j’ai eu un énorme travail pour réécrire mes musiques sous la forme de pièces de concert symphoniques indépendantes. J’utilise ces musiques connues grâce au cinéma, comme une sorte de « folklore imaginaire » et je les développe comme certains compositeurs, dans le passé, utilisaient des airs populaires.

Parvenez-vous à échapper au trac ?

Ces concerts sont des événements exceptionnels et importants pour moi. Arriver sur scène n’est pas anodin, d’autant qu’en plus de diriger, je présente le programme. C’est cela qui m’angoisse le plus. Le trac est donc toujours là.

Quelle musique pourrait être le générique de vos mémoires ?

Pour son originalité et parce qu’elle représente le début de ma carrière en France, je choisirais Le Grand blond avec une chaussure noire4  sans hésiter.

 

Mes mémoires.jpg

 

L’actualité de Vladimir Cosma

 

  • À lire : Mes Mémoires, Du rêve à reality (Octobre 2022, Plon). Un voyage de plus de 500 pages sur ses débuts, sa famille, son pays natal, la Roumanie, son arrivée en France à 22 ans, et des anecdotes inédites qui raviront les cinéphiles
  • À voir : Le Cours de la vie (en salle le 3 mai) de Frédéric Sojcher dont il a écrit la musique. Pour en savoir plus : https://www.allocine.fr/film/fichefilm_gen_cfilm=299887.html
  • À écouter : il dirigera un orchestre philharmonique de 100 musiciens, 40 choristes et solistes avec des invités surprise, au Grand Rex, les 16,17 et 18 juin prochain. Pour réserver : https://www.legrandrex.com/evenement/1544

 

  1. Film réalisé par Gérard Oury en 1980 avec Pierre Richard.
  2. Film réalisé par Claude Zidi en 1980 avec Gérard Depardieu et Coluche
  3. Producteur et directeur de Gaumont International.
  4. Film coproduit et réalisé par Yves Robert sorti en 1972 avec Pierre Richard.


 

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