Comment prévenir la dénutrition, bien trop répandue après 65 ans ?

Ajouté le 22 mars 2023, par Flore Cathala-Pierson
Comment prévenir la dénutrition, bien trop répandue après 65 ans ?

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Anne Moreau, diététicienne, déléguée générale de l’Institut Nutrition, nous livre informations et conseils pour bien manger en tant que “senior” et prévenir la dénutrition, un fléau qui touche 2 millions de Français dont 800 000 personnes âgées. Pour soi, ou pour aider ses proches.

Qu’est ce qui change dans notre corps quand on devient “senior” ?

A partir de 65 ans environ, et même plus tôt pour les femmes, nos besoins nutritionnels augmentent considérablement, notamment en protéines, calcium, vitamine D, etc. Par exemple, alors que les besoins quotidiens en protéines sont de 1 gramme par kilo de poids à l’âge adulte, ils passent à 1,2 gramme chez les seniors.

Paradoxalement, c’est aussi l’âge à partir duquel l’appétit et le goût diminuent, où l’on a tendance à moins manger. Les capteurs sensoriels se dégradent, comme l’olfaction qui joue un rôle primordial dans la perception de la palatabilité d'un aliment. La palatabilité étant la capacité à percevoir le goût et la texture, directement liée à l'intensité du plaisir de manger. Ce phénomène est accentué par la polymédication, fréquente à partir de 70 ans. L’amer et le salé deviennent moins agréables, tandis que le sucré redevient très attirant, un peu comme dans l’enfance ! Les problèmes bucco-dentaires incitent aussi à moins manger, de même que des difficultés pour assurer une déglutition sans risque. Ou alors uniquement des textures lisses, ce qui devient rapidement déprimant.

A partir de 70 ans, ces courbes inversées que sont l’augmentation des besoins nutritionnels et la diminution des apports s’accélèrent, entraînant chez les seniors un fléau méconnu : la dénutrition.

On connaît bien la nécessité d’adapter l’alimentation des bébés mais finalement il devrait y avoir une alimentation spécifique à chaque âge de la vie !

C’est ça ! Et on ne pense pas forcément être à risque à un âge aussi jeune que 65 ans.

Qu’appelez-vous la dénutrition ?

Déjà, un phénomène extrêmement répandu : 4 à 10 % des plus de 60 ans sont concernés, et 25% des plus de 70 ans vivant seuls. Il y a même aujourd’hui un Collectif de lutte contre la dénutrition. On peut la définir comme un défaut d’alimentation, en-deçà des besoins d’une personne. Aujourd’hui on dit que c’est une maladie, silencieuse.

Les conséquences sont graves : perte de masse et de force musculaire, risques de chute, infections, déprime voire dépression… La dénutrition est vraiment à l’origine d’un glissement général : quand on perd le goût de manger, on perd rapidement le goût de vivre. Et inversement.

Comment vous attaquez-vous à cette question cruciale à l’Institut Nutrition ?

L’Institut Nutrition, fondation d’entreprise de Restalliance, œuvre depuis 2020 pour faire avancer la recherche et la communication sur la nutrition des personnes fragilisées, par l’âge ou par le handicap. L’institut lance notamment des expérimentations en lien avec des EHPAD. Car, si on sait très bien ce qu’il faut mettre dans l’assiette pour couvrir les besoins nutritionnels des seniors, on a besoin de progresser sur la manière de faire évoluer les comportements alimentaires, sur le terrain, pour stimuler l’envie de manger de nos aînés.

Ensuite, nous publions des études, de l’information, car c’est un enjeu de santé publique qui n’est pas encore assez connu ! Aujourd’hui, il est admis par la communauté scientifique qu'il est préférable de privilégier l'apport calorique aux restrictions alimentaires liées à certaines pathologies (diabète, etc.) : la menace principale, c’est la dénutrition, pas le reste. Par exemple, il vaut mieux manger du gras (et du bon gras, bien sûr, comme l’huile de colza, voire même ajouter de la crème fraîche pour densifier les calories d’une soupe de légumes) que de se l’interdire sous prétexte qu’on a du cholestérol. On meurt plus de la dénutrition et de ses conséquences que de ces autres pathologies. Pourtant, peu de gens le savent. On pourrait ajouter que les fins de vie sont beaucoup moins heureuses si on est obsédé par des régimes. Au contraire, il faut retrouver le plaisir de manger.

Enfin, nous remettons tous les ans un prix doté de 10 000€ à une solution ou une stratégie innovante pour promouvoir une alimentation favorisant le plaisir et la santé. Par exemple, en 2020, le projet G.L.A.C.E proposait un bar à glaces (l’été) et boissons chaudes (l’hiver) à ses résidents âgés, favorisant ainsi leur hydratation.

Concrètement, que conseillez-vous pour conserver et développer ce “plaisir de manger” alors que l’évolution physique naturelle rend cela moins spontané ?

Souvent, ce plaisir perdu va avec une diminution du lien social. Il est évident que personne n’aime manger seul. Moi-même à la trentaine je n’aime pas me préparer un dîner si c’est pour le manger toute seule… Alors imaginez plus tard, quand c’est tous les soirs. Donc la première chose c’est de proposer autant que possible de partager le dîner des personnes isolées. Cela peut même être par téléphone, ou par visio pour les grands-parents les plus connectés !

On se rend compte de l’importance de valoriser les capacités préservées chez les aînés : en institution, on peut par exemple proposer aux personnes qui le souhaitent de participer à la préparation du repas (épluchage, etc), ou de mettre le couvert, ce qui aura pour conséquences de les rendre fiers et actifs et de stimuler l’envie de manger. Nous encourageons donc à ne pas déresponsabiliser les seniors mais plutôt à les impliquer au maximum. Ce n’est pas toujours simple à mettre en place mais nous y travaillons.

Dans les plats eux-mêmes, il s’agit d’avoir des saveurs et de la variété, notamment dans les textures. Comme je le disais, le potage tous les soirs, c’est lassant… Il faut du croustillant, de la couleur, ne pas hésiter à ajouter des épices.

En ce sens, le sucré n’est bien sûr pas à exclure, il reste souvent plaisant au palais des seniors. J’ai vu récemment à la boulangerie une vieille dame acheter un pain au chocolat et un croissant pour son dîner. Ce n’est pas idéal mais au moins elle mangeait quelque chose ! Bien, sur le long terme, ce mode d’alimentation est source de carence mais il reste préférable au fait de sauter un repas car on a pas envie de cuisiner.

Comment repérer la dénutrition chez un proche ?

Voici les signes les plus fréquents qui doivent vous alerter :
•    Des vêtements trop larges, dans lesquels la personne semble “flotter”,
•    Plein de restes alimentaires dans le frigo et des produits périmés dans les placards,
•    La personne dit toujours qu'elle n’a pas faim,
•    Elle se plaint d'être “fatiguée”,
•    De manière plus anecdotique, elle n'arrive pas à traverser un passage piéton le temps du feu vert.

Que conseillez-vous alors pour les aidants ou les proches ?

Dans la catégorie médicale, il faut absolument mettre en place un suivi bucco-dentaire régulier.

Si la personne prépare elle-même ses repas, il faut vérifier avec elle sa capacité à le faire seule, car cuisiner demande de la force physique. Peut-être par exemple qu'elle n’est plus capable d’éplucher des légumes. Même enlever la languette d’un yaourt peut être devenu trop difficile à un certain stade.

Si on sent que la personne n’est plus 100% autonome pour ses repas, il ne faut pas hésiter à tester plusieurs solutions, et à les évaluer conjointement avec la personne concernée. Par exemple, est ce que faire les courses la fatigue, est ce qu'elle y va encore, et pour acheter quoi ? Si cela lui pèse trop, on peut envisager de lui faire les courses en ligne et de la faire livrer. A mettre dans la balance avec le fait qu’elle aura alors moins d'occasions de sortir, ce qui n’est pas forcément une évolution positive car cela va diminuer l'activité physique. Des services de livraison de repas existent également, mais alors évitez de manger directement dans les barquettes, toujours dans cette optique de favoriser le plaisir.

Il faut toujours penser à privilégier les protéines (viande, œufs, poissons, légumes secs), et les calories, pour une bonne densité nutritionnelle du repas. On peut conseiller aux proches d’enrichir l'alimentation: du fromage ou de la crème fraîche sur des légumes, des croûtons dans la salade, des vermicelles dans la soupe… Et aussi d’oublier le dogme des trois repas par jour. Si la personne n’ a pas faim et préfère prendre des petites collations plusieurs fois dans la journée, très bien. Toute calorie est bonne à prendre !

Vous avez l'air de participer à une prise de conscience collective, sans nul doute en lien avec les débats actuels sur l’intégration de nos aînés dans la société

Oui, et on voit naître des initiatives très positives, souvent dans le cadre de l’économie sociale et solidaire. Par exemple, l'association Les Petites Cantines qui invite toutes les générations à cuisiner et prendre leur repas ensemble. Une autre, Les Repas part’âges (https://repas-partages.fr/), constitue des réseaux de personnes qui partagent leurs dîners. A Lyon, je trouve génial le concept du café intergénérationnel Chez Daddy. Enfin, je pourrais aussi citer Silver Fourchette, un programme de sensibilisation à destination des plus de 60 ans, qui promeut une alimentation gourmande, durable, adaptée et équilibrée pour agir sur sa santé.

Malheureusement pour l’instant ces initiatives sont surtout l’apanage des grandes villes, mais il faut que cela s’étende.
 

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